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Vécu du 19 août 2007

Marivaux

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux
1688-1763

Chronologie de l'oeuvre de Marivaux

Avec l'école nous étions allé voir « Les fourberies de Scapin » de Molière, enfant, je n'avais sans doute pas la sensibilité pour en comprendre toute les subtilités, ça ne m'avait pas bouleversé.
Bien que je ne fus pas un bon élève à l'école, que je n'aies pas fait d'études poussées, non plus de littérature, la première fois que j'ai vu et entendu joué du Marivaux « Les serments indiscrets », cette fois-ci devenu adulte, je restai sous le choc. Bien que la syntaxe ne me fut pas habituelle, ce langage me parla directement et fit vibrer une corde sensible. J'ai vu après beaucoup d'autres pièces de Marivaux... lire la suite


Je reviens sur le style de syntaxe de Marivaux, plus proche de notre français du vingtième siècle que celui de Molière, l'utilisation fréquente du passé simple et du subjonctif, qui font qu'on ne comprend pas tout de suite le sens d'une phrase intellectuellement, mais qu'on est tout de même touché par le sens profond, parce que cette syntaxe, plutôt que d'éblouir et d'étaler un académisme, renforce la profondeur du discours et les sentiments des personnages, comme le sel et les épices dans la cuisine, si loin de notre langue actuelle et si proche de nos sentiments, il est parfois bon de réinjecter un peu de vocabulaire et de conjugaison dans notre langage tant appauvri.

Ce qui me touche dans le théâtre de Marivaux, est qu'il traite beaucoup de l'honnêteté et de la pureté des sentiments d'êtres humains très spirituels, et décline ainsi toutes les façons qu'ils ont de tester si les sentiments des autres sont aussi purs et honnêtes, si l'autre est au même niveau spirituel, usant du travestissement en se montrant souvent sous l'aspect d'une personne de qualité inférieure pour mieux observer, jusqu'à ce que l'amour l'emporte sur la raison « Le jeu de l'amour et du hasard » et éventuellement mettre à jour ses intentions malveillantes ou vénales « La fausse suivante » « Le Prince travesti ».

Parfois c'est une personne d'un rang socialement inférieur qui est plus spirituelle que son maître et qui lui fait la leçon « L'île des esclaves ».

Ailleurs ce sont des êtres humains déçus de leurs expériences qui se sont fait une loi inviolable de ne plus jamais avoir de sentiment amoureux pour personne, et qui malgré leur résistance acharnée, finissent par se laisser attendrir et rouvrir leur coeur à l'amour « La Surprise de l'Amour » « La Seconde Surprise de l'amour ».

Dans La Double Inconstance, une intrigue bien complexe, c'est un prince qui tombe amoureux d'une villageoise qui a déjà un amant, ce prince qui se travesti en officier du palais, fera tout pour rendre ces amants inconstants.
Mais ce sera pour la bonne cause : le prince grâce à la pureté de ses sentiments, peut accepter une mésalliance de classe pour faire monter la villageoise dans la sienne, car il a vu dans elle de la noblesse et trouve qu'elle n'est pas à sa place. C'est donc ici une noblesse d'âme qui fait monter toute la société vers elle.

C'est tout ça le marivaudage, avec de l'humour en plus, Marivaux « corrige les moeurs par le rire »

Exception dans « L'Épreuve » où le galant Lucidor a tellement poussé à bout Angélique pour la tester que, bien qu'il lui dise à la fin qu'il a seulement voulu s'assurer de son amour, Angélique reste avec la sensation d'avoir été sous-estimée et trahies, et la ruse semble se retourner contre Lucidor qui finit dépité par tout perdre en voulant tout gagner.

Il y a aussi un extrême dans « Les Sincères », des gens qui ont une image si superbe d'eux-mêmes qu'il doivent feindre d'être humble alors qu'ils sont mégalomaniaques ; exemple avec la marquise tiré de la page wikipedia : « Les louanges la chagrinent, mais elle veut qu'on la loue du chagrin qu'elles lui font. ».
Ma pauvre dame comme vous êtes à plaindre : vous souffrez tant de la peine que vous avez de recevoir des compliments qui vous indisposent !

Marivaux disait lui-même : « J'ai guetté dans le coeur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ces niches... Dans mes pièces, c'est tantôt un amour ignoré des deux amants; tantôt un amour qu'ils sentent et qu'ils veulent se cacher l'un à l'autre; tantôt un amour timide qui n'ose se déclarer; tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi-né, pour ainsi dire, dont ils se doutent sans en être bien sûrs et qu'ils épient au dedans d'eux-mêmes avant de lui laisser prendre l'essor. »

Dans le livre "Qu'est-ce qu'un philosophe ?" de Jin Lu, il est écrit que pour Marivaux .../... il faut changer le coeur humain avant de changer les institutions politiques

En 1987 j'ai vu une merveilleuse mise en scène de « Le jeu de l'amour et du hasard » par Alfredo Arias au Centre National d'Aubervilliers et interprétée par le groupe TSE, des acteurs pas tous francophones de naissance, avec des accents parfois très marqués, mais qui n'enlevaient rien à l'expressivité du texte, de surcroît les acteurs étaient masqués en singes (comme dans « La planète des singes »)
Le jeu de l'Amour et du Hasard de Marivaux - Lisette et Arlequin
Lisette (Zobeida) et Arlequin (Alain Salomon)
tout devant passer par la voix et les yeux.
Sur le site de la Bibliothèque Nationale de France il y a 55 photos de cette mise en scène, voici la première gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9002106r

Je n'ai jamais revu depuis d'autre interprétation de cette pièce qui m'ait autant ému jusqu'aux larmes, à éviter absolument la version vidéo de la Comédie Française tellement plate et d'autant plus incompréhensible pour cette grande institution.

J'ai vu aussi à Aubervilliers de très bonnes interprétations de « L'École des mères » et de « Les Acteurs de bonne foi », dans cette dernière pièce pleine d'humour, il y a une phrase qui pourrait résumer tout le théâtre de Marivaux, le comble du marivaudage.
Madame Hamelin demande à une servante Colette et à Merlin valet de son neveu, qui ont chacun de leur côté leurs amants, de jouer une petite pièce pour une de ses amies Madame Argante, cette dernière refusant de la voir, Madame Hamelin pour la punir, décide alors de lui faire une farce.
Pendant la répétion de la piècette au début, Merlin doit courtiser Collette, une fiction qu'ils finissent par prendre avec plaisir un peu pour une réalité et aussi pour tester la jalousie de leurs conjoints respectifs.
Mais Blaise l'amant de Collette s'aperçoit de la confusion qui s'installe et va se plaindre à sa maîtresse.

Blaise : « Et au par-dessus on se raille de ma personne dans ce peste de jeu-là ; noute maîtresse, Colette y fait semblant d'avoir le coeur tendre pour Monsieur Merlin, Monsieur Merlin de li céder le sien, et maugré la comédie tout ça est vrai, noute maîtresse ; car ils font semblant de faire semblant » (Marivaux, Les acteurs de bonne foi).

Il y a des personnes qui te lancent une pique, puis une fois que tu es bien touché et déstabilisé, te disent avec un grand sourire que c'était pour blaguer, mais qu'est-ce qui prouve que cette personne ne fait pas passer après coup pour une blague, ce qui n'est en vérité qu'une vraie pique ? On ne fait jamais innocemment semblant de faire semblant.

Marivaux était aussi écrivain, et a laissé quelques oeuvres devenues très célèbres comme Le Paysan Parvenu et La Vie de Marianne, mais aussi des moins connu comme L'éducation d'Un Prince, Le Miroir, une réflexion sur les auteurs littéraires anciens et modernes, bons et moins bons, dans laquelle il dit entre autres, à propos de la philosophie (édition de 1781 page 37) :

« ...Le système du fameux Descartes, cet homme unique, à qui tous les hommes des siècles à venir auront l'éternelle obligation de savoir penser, et de penser mieux que lui ; cet homme qui a éclairé la terre, qui a détruit cette ancienne idole de l'ignorance ; je veux dire le tissu de suppositions, respecté depuis si longtemps, qu'on appelait philosophie, et qui n'en était pas moins l'ouvrage des meilleurs génies de l'antiquité... » ;

à propos de la parité dans l'art (page 39) :

« ...J'y vis le paradis terrestre, imité de Milton, par Madame Du.....Bo.....Ouvrage dont Milton même eut infailliblement adopté la flagelle et les corrections, et qui prouve que les forces de l'esprit humain n'ont point de sexe... » ;

à propos de la fatuité, l'immodestie et la suffisance sans lesquelles Chapelain aurait pu écrire de meilleurs poèmes (page 41) :

« ...Mais cet auteur, sur la foi de la réputation, conçut une si grande et si sérieuse vénération pour lui-même, se crut obligé d'être si merveilleux, qu'en cet état il n'y eut point de vers sur lesquels il ne s'appesantit gravement pour le mieux faire, point de raffinement difficile et bizarre dont il ne s'avisât ; et qu'enfin il ne fit plus que des efforts de misérable pédant, qui prend les contorsions de son esprit pour de l'art, son froid orgueil pour de le capacité, et ses recherches hétéroclites pour du sublime.../...Je voyais que Chapelain moins estimé en serait devenu plus estimable ; car dans le fond il avait beaucoup d'esprit, mais il n'en avait pas assez pour voir clair à travers tout l'amour-propre qu'on lui donna ; et ce fut un malheur pour lui d'avoir été mis à une si forte épreuve que bien d'autres que lui n'ont pas soutenue. Il n'y a guère que les hommes absolument supérieurs qui la soutiennent et qui en profitent, parce qu'ils ne prennent jamais de ce sentiment d'amour-propre, que ce qu'il leur en faut pour encourager leur esprit. Aussi le public peut-il présumer de ceux-là tant qu'il voudra, il ne sera point trompé, et ils n'en seront que mieux. Ce n'est qu'en les admirant un peu d'avance, qu'il les met en état de devenir admirables ; ils n'oseraient pas l'être sans cela, ou peut-être ignoreraient-ils combien ils peuvent l'être... ».

Et Marivaux de conclure cette réflexion pour dire que, bien qu'il y ait toujours profusion de nouvelles idées dans l'esprit humains, ces idées ne sont pas toujours utilisées avec goût par les artistes (page 64) :

« L'augmentation des idées est une suite infaillible de la durée du monde : la suite de cette augmentation ne tarit point, tant qu'il y a des hommes qui se succèdent, et des aventures qui leur arrivent. Mais l'art d'employer les idées pour des ouvrages d'esprit peut se perdre : les Lettres tombent, la critique et le goût disparaissent, les Auteurs deviennent ridicules ou grossiers, pendant que le fond de l'esprit humain va toujours croissant parmi les hommes. ».

Et on verra le goût artistique perdu ressortir plus tard dans l'histoire, et pour faire une fausse comparaison, la force de la nature fait qu'après les grandes glaciations qui provoquent des extinctions de masse, la biodiversité augmente encore plus après, le vivant conservant en son sein tout ce qu'il a accumulé par le passé.

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